11 janvier 2015

Charlie

Silence de Montreuil à Vincennes - 9 janvier 2015

Tout a commencé par de l'incrédulité. Un appel venu interrompre le doux ronronnement de la vie quotidienne. C'était un mercredi. Peu après treize heures, dans le métro, emplettes soldées en main. "Tu vas bien? Oui pourquoi? Tu n'as pas entendu? La rédaction de Charlie Hebdo a été attaquée, ils sont dans ton arrondissement!"

A ce moment-là, tout semblait normal dans la rame de la ligne 1. Bonnets sur la tête et gants aux mains, les passagers lisent, écoutent de la musique, discutent avec entrain. Beaucoup portent des paquets, en ce premier jour de soldes. Une goutte venue perturber la calme lisse de la vie Parisienne.

Puis, tout s'enchaîne, c'est l'éveil. De retour au travail, les nouvelles ont atteint les bureaux. Chacun suit son flux d'infos, donne des nouvelles à l'ensemble de l'open space. Un groupe de personnes se réunit autour d'un bueau pour voir une vidéo. "Cabu est mort!" lance un autre. Les collègues posent leurs fourchettes et leurs baguettes, frappés d'incrédulité.

Puis, c'est l'émotion. Loin des chaînes à l'information continue et de leur traitement objectif et systématique, les réseaux sociaux s'enflamment, les flux s'emplissent des émotions de tous, de mes amis. Partage d'informations, de photos, l'incrédulité laisse place à l'horreur, la tristesse. Et l'émotion en 2015, ce sont des statuts facebook, des tweets, des images intagram. Mais le partage, l'empathie, la solidarité, ce qui fait de nous des êtres humains, tout est là.


La routine aurait rapidement repris son cours, s'il est possible, si une autre goutte, ou un roc peut-être, n'avait pas perturbé les eaux calmes du quotidien de la ville. Sirènes, coups de feu, que se passe-t-il? La désorientation laisse vite place à l'action. La résilience de l'espèce humaine. Les bureaux s'éveillent à nouveau, une prise d'otage, à quelques centaines de mètres, dans le quartier où nous allons souvent déjeuner.

Devant la machine à café, les informations se recoupent: le bâtiment est bouclé, les collègues de retour du restaurant racontent leur histoire. Le choc traverse tous leurs membres alors qu'ils content les faits. Tout le monde s'est jeté sous les tables. Nous avons entendu les coups de feu, les sirènes. Le réseau était saturé. Les policiers ont placé un périmètre de sécurité. J'étais juste à l'extérieur du périmètre. Nous sommes sortis. Mon téléphone vibrait dans tous les sens, j'ai appelé ma famille. Les mains tremblantes, le besoin de parler, mais pour dire quoi? Certains collègues sont enfermés dans le restaurant d'en face, un bougnat. Sans nouvelles, une atmoshpère électrique, sourde, hante les bureaux en ce vendredi après-midi. Que reste-t-il d'autre alors, que de rassurer la famille et se remettre au travail?

Aujourd'hui, la ville gronde. Un rassemblement comme elle n'en a probablement pas observé depuis des années. La ligne 1 est momentanément interrompue en raison d'un "colis suspect", la ville s'arme et la ville guette. Tout paraît si dérisoire aujourd'hui.

Dans les rues désertes de mon quartier, bouclé pour la manifestation à venir, le silence emplit l'air. Le vent souffle dans les arbres, remue les feuilles mortes. Quelques sapins jonchent le trottoir, les passants, enveloppés dans leur manteau, semblent d'un autre monde. La ville paraît amputée, sans voitures. Quelques vélos se précipitent, un homme en fauteuil électrique remonte ma rue avec sa femme, au milieu de la route, une détermination tranquille se lit sur son visage. Au loin, des camions de police bloquent la circulation, quelques personnes convergent en direction de la place de la République. La douce bise sur mes joues, un geste familier de protection, emmitouflée dans mon manteau. Un instant de silence sous le ciel d'hiver. Le calme avant la tempête.

Je ne sais que faire de tout ceci. La confusion intense de se sentir au centre d'évènements historiques, cette réalité éclatant au milieu de mes repères familiers, de mon quotidien si calme et sûr. Est-ce donc cela, la chance que nous avons, de vivre dans un pays en paix? De connaître un quotidien habituellement si stable, si tranquille? Je ne sais que faire, alors j'écris. Une part de moi garde une foi profonde en l'humanité: lorsque l'incrédulité et l'émotion font place à la solidarité, à l'indignation, au soulèvement pour la liberté, unis pour la mémoire de ceux qui ne sont plus, pour protéger le futur qu'il nous reste.

Je suis Charlie.

1 commentaire:

  1. Plus rien ne sera comme avant, il y aura un avant et un après 7 janvier 2015 ! Tu as vécu un moment historique , tu n'oublieras jamais et tu ne seras plus la même comme ces millions de français qui ont dit oui à la liberté , oui aux valeurs de notre république et non à la barbarie...
    Je suis Charlie, je suis flic, je suis juif, je suis français !

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